- Mei chérie, quelle est la règle numéro un?
- Ne pas m' énerver. Rester calme même quand ce crétin vient de ...
- Règle numéro 1 Mei, règle numéro 1.

Ca c'est ma mère tentant de me calmer. De toute manière, y'a qu'elle pour m' appeler Mei. C'est le surnom maternel. Parce que quand je m' énerve, j' ai tendance à provoquer des secousses. Je ne parle pas de balancer cet abruti qui a failli m' écraser avec son 4x4 contre un mur et de le secouer encore et encore. Je parle de vraies secousses. Du genre mini séisme. Alors oui, là mon corps vibre tout entier de l' intérieur. Et ma mère sent venir le danger. C' était déjà flippant quand j' avais 16 ans mais là, je tend vers les 24. Qui dit coup de vieux, dit amplification. Alors je la sens tendue. C'est pas que ma colère soit illégitime, mais si la terre pouvait éviter de trembler sous ses pieds, ça l' arrangerait. Et je sens au son de sa voix, qu'elle angoisse. L' intonation très douce, trop douce. C'est pas son genre à ma mère, la douceur vocale. Elle essaie de m' apaiser. Et elle aussi par la même occasion. Parce que je tiens ça d'elle et qu'elle même se contient. Elle est furieuse. Furieuse contre cet abruti qui vient de quasi faucher son unique enfant. Mais elle se contient et tente de faire de même avec moi. Parce que je m' énerve, elle n'aura plus aucune raison de ne pas s' énerver de son côté. Je le sens à cette façon qu'elle a de me serrer d' un coup la main. La poigne ferme, la fermeté d' une mère à la fois stressée et énervée. Et ma mère qui s' énerve, ça me calme. Faudrait pas qu' on fasse un double séisme à nous deux. On pète un cable ensemble ou on se modère mutuellement.

- La règle numéro 1 maman.

Un rappel des règles pour elle comme pour moi. Si mon père avait été là, il aurait su nous calmer plus vite. Il est le canaliseur de notre famille. Mais il était ailleurs. Avec un ou une de ses protégées. C' était ça être la fille d' un être de lumière. Les protégés passaient toujours avant sa famille. Avant moi.
Il n'y avait que nous deux. Ma mère et moi. Alors on allait faire ce qu' on faisait de mieux. Se soutenir. Se serrer les coudes et s'empêcher de flancher mutuellement. On était des nymphes. On pouvait pas se permettre de flanchir. On était des filles de la nature. Et la colère de la nature c' était toujours extrême et dévastateur. Alors on était là, sur le bord du trottoir, se serrant la main avec force, ressentant les vibrations s' atténuer à l' intérieur de nous, se fixant en silence du regard. On devait bien avoir l'air de deux femmes bizarres comme ça. Mais on limitait les risques. Et quand plus aucune secousse intérieure ne se fit sentir, ma mère desserra sa poigne et je lachais sa main. C' était passé. On avait respecté la première règle de notre famille. Et d' un signe de tête, ma mère acquiessa comme pour confirmer que la crise venait d' être évitée. Le danger avait été écarté. Pas le danger du conducteur presque criminel. Le nôtre. Celui de nos émotions. Alors on traversa enfin la route, dix minutes après l' incident, pour rejoindre le trottoir d'en face et continuer notre journée comme le ferait des personnes ordinaires. Même si on l' était pas totalement. Même si je faisais partie de celles qui n' avait pas le luxe de pouvoir éprouver de la colère ou de la frustration. Et c' était épuisant. Pas tant de vivre avec des pouvoirs. C' était épuisant de devoir rester modérée en toute circonstances .Encore plus quand le calme ne fait pas partie de votre nature. Les sorcières combattaient les démons. Moi je me combattais intérieurement bien souvent. Et c' était éreintant. Mais je ne renierais pour rien au monde mon héritage. C' était certes pour le moment un cadeau empoisonné. Mais ça restait un cadeau.


- Soigner c'est comme donner de toi.

Je fixais mon père comme si je faisais face à un alien. C' était un excellent être de lumière mais un pitoyable enseignant. Si ma mère avait su m' avait appris à contrôler la géokinésie, je doutais que la même chose serait plus délicate avec mon paternel. J' avais l' impression d' écouter un livre audio sur l' aide du contrôle de soi. En fait j' avais l' impression d' entendre un charlatan tentant de me vendre les bienfaits de sa secte. J' adorais mon père, mais c'est pas lui qui allait m' aider avec mon nouveau pouvoir. J' aurais voulu hocher la tête de haut en bas en souriant pour lui faire croire que je comprenais. Mais en vérité, j'avais rien compris et j' étais pas assez diplomate pour vouloir lui donner la satisfaction qu' il m'avait transmis son savoir correctement.

- Ca t'aide pas ce que je te dis pas vrai?

Je secouais la tête négativement, l' air désolée pour lui. C' était bien qu' il le comprenne. Il était peut être un mauvais enseignant mais c'est un parfait observateur. En même temps, c' était davantage utile pour un être de lumière, de savoir repérer les failles rapidement. On leur demandait de protéger, pas de former.

- On va te trouver un être de lumière plus doué pour te l' apprendre.

Amen papa. Il venait de me sauver la mise. Je restais malgré tout déçue. L'avoir pour enseigner m'aurait permis de passer plus de temps avec lui. Je le voyais pas des masses, alors ça aurait été l' occasion de légitimement l' accaparer. Je l'aurais eu rien que pour moi durant ces moments là. C' était une petite déception autant pour lui que pour moi. Mais il fallait avant tout que j' apprenne à contrôler ce nouveau don. Certes prendre du temps pour le maitriser était moins risqué qu'avec le précédent. Mais il était bien plus utile. Alors j'allais devoir apprendre à le maitriser rapidement. Pas pour moi. Pour les autres. Et aussi pour montrer à mon père que même si j' étais bien plus une nymphe qu' une être de lumière, j' étais sa fille et que cette partie là, je la lui devais. Alors j' allais y arriver. J' avais réussi avec le premier pouvoir, y' avait pas de raison pour que je n'y parvienne pas avec celui là, non?